Visite de l'exposition

Femme indépendante aux idées presque révolutionnaires pour l’époque, Berthe Weill a cultivé un goût affûté pour la création artistique tout au long de sa carrière en s’associant à des artistes comme Modigliani, Matisse, ou Valadon. Celle qui a contribué au succès de Picasso en étant la première à vendre ses toiles en France, est mise à l’honneur jusque fin janvier au Musée de l’Orangerie.

L’exposition se déroule en ordre chronologique et présente les toiles acquises et vendues par Weill à ses débuts. On peut y voir de nombreux tableaux aux couleurs marquées et intenses, aux traits épais représentant des sujets nets et précis, tel que le Paysage aux vaches de Delaunay (1906), Piana Corsica de Charmy (1906) ou bien Nus de garçons de Czòbel (1907). Sans ambiguïté, ces toiles donnent l’idée d’une galeriste au regard aiguisé, attirée par ce qui est net et distinct, où l’abstrait n’avait pas encore sa place.

En même temps qu’elle se démène pour la réussite des peintres qu’elle expose, Berthe Weill développe également de réelles amitiés avec eux. Rapidement elle compte Raoul Dufy, Hermine David, Jules Pascin, Émilie Charmy dans son cercle proche.

Régulièrement, Berthe Weill expose des artistes femmes, mais aussi de nombreuses œuvres dont le sujet sont les femmes : le célèbre Nu au collier de corail (1917) de Amadeo Modigliani, Autoportrait (1906) d’Émilie Charmy, La Femme au canapé (avant 1920) de Kees van Dongen, ou encore La Chambre bleue (1923) de Suzanne Valadon, parmi tant d’autres. Ces femmes sont peintes en train de travailler, de poser, de vaquer à leurs activités ou de prendre part à la vie mondaine. En les représentant comme sujets principaux et faisant autre chose que seulement poser, les peintres qu’expose Weill nous laissent voir des femmes actives, indépendantes, presque émancipées. Peut-être pouvons-nous y déceler ici une volonté féministe de la galeriste ?

Française d’origine juive, Berthe Weill a subi de plein fouet la violence de son époque, et la Seconde Guerre Mondiale signera prématurément la fin de sa carrière. Contrainte de se cacher dans l’atelier de son amie, l’artiste Émilie Charmy, Weill ne peut plus exercer son métier et ferme définitivement sa galerie en 1940. Après la guerre, des expositions lui seront consacrées et elle se verra décerner le titre de Chevalier de la Légion d’Honneur en 1948, avant de décéder en 1951 à l’âge de 85 ans.

Tout au long de sa carrière, Berthe Weill a osé : elle a défendu des artistes inconnus, dévoilé des toiles provocantes, choisi de poursuivre son activité malgré l’antisémitisme croissant. Son engagement envers les artistes et les arts a fait d’elle une galeriste déterminée et moderne avant l’heure. Weill aimait révéler les talents des exclus, des cachés, de ceux que l’on tente d’écraser.

Commissariat : Sophie Eloy, attachée de collection au musée de l’Orangerie, Anne Grace, conservatrice art moderne au Musée des beaux-arts de Montréal, Lynn Gumpert, directrice du Grey Art Museum, New York University, New York, Marianne Le Morvan (commissaire invitée), fondatrice et directrice des archives Berthe Weill, commissaire d’expositions et chercheuse indépendante.

Compte rendu de Lili Tibi, décembre 2025

Berthe Weill. Galeriste d’avant-garde