A l’occasion du centenaire de l’École des beaux-arts de Hanoï, le musée Cernuschi, qui s’attache à valoriser les arts de l’Extrême-Orient, propose au visiteur de découvrir les trajectoires de trois anciens élèves particulièrement talentueux. L’exposition retrace ainsi les parcours de trois artistes pluridisciplinaires qui font partie des premiers à avoir été formés par cette école : Lê Phô (1907-2001), Mai-Thu (1906-1980) et Vu Cao Dam (1908-2000). Cette rétrospective permet ainsi de retracer les destins singuliers de ces trois hommes, sur le plan personnel et artistique. A l’aide de judicieux rappels historiques, le musée redonne leur place à ces trois artistes qui tentèrent de faire valoir leurs talents respectifs dans un XXe siècle tumultueux et ébranlé par deux Guerres Mondiales ainsi que par la Guerre d’Indochine. A travers un choix d’œuvres cohérent, constitué de plus 150 créations (provenant de collections privées et publiques), l’exposition permet également au visiteur de saisir les influences multiples de ces trois amis qui décidèrent, chacun à leur tour, de quitter leur Indochine natale pour s’installer en France (à partir des années 1930) afin d’y mener leurs carrières respectives, sans jamais pour autant perdre complètement de vue leur terre d’origine, qui continua toujours à nourrir leurs créations…
L’École des beaux-arts de Hanoï
À partir de la fin du XIXe siècle, la France assoit sa domination sur l’Indochine. S’en suivra une période d’intensification des échanges culturels entre ces deux territoires qui mènera à la création de l’École des Beaux-Arts de l’Indochine (EBAI), en 1925, sous l’ancien empire colonial français. Le développement de cette école, située à Hanoï, marquera un véritable tournant dans l’histoire de l’art vietnamien. Victor Tardieu, peintre français de formation académique, se laissera convaincre par Nguyên Van Tho, un artiste local autodidacte, et deviendra ainsi le premier directeur de l’EBAI ainsi qu’un acteur de premier plan durant cette aventure. Il aura pour projet la fusion de l’Occident et de l’Asie, au niveau artistique, à travers le développement d’un enseignement qui mariera habilement le meilleur des deux mondes. Passionné, Victor Tardieu présentera son établissement comme un lieu destiné à former de futurs professeurs de dessin en lycées. Tout cela, sans oublier cependant de poursuivre en parallèle son véritable objectif : la formation d’artistes autonomes.
Les élèves acquerront au sein de l’EBAI une culture artistique complète. Tout en favorisant l’assimilation des codes de l’art européen, cet établissement leur offrira des bases solides, ainsi qu’une ouverture à un héritage plus local. Ce goût pour la tradition vietnamienne favorisera paradoxalement les innovations. A l’enseignement de la peinture à l’huile, d’origine purement occidentale, s’ajouteront ceux de la peinture sur soie et de la laque, de tradition extrême-orientale. Ces deux dernières techniques, d’origine asiatique, seront cependant revisitées au sein de l’Ecole de Hanoï. La première, qui tire son origine de la technique chinoise traditionnelle des peintures montées en rouleau, sera ainsi adaptée et modernisée. Les artistes provenant de l’EBAI décideront d’effectuer des modifications au niveau du support et d’inventer la peinture sur soie marouflée sur carton. Quant à la laque, résine obtenue par incision du tronc de l’arbre à laque et utilisée pour embellir divers objets, elle connaîtra aussi des innovations au sein de l’école indochinoise, qui n’hésitera pas à renouveler cette technique venue de Chine, notamment en l’alliant avec des styles en vogue à l’époque tels que l’Art Déco. Grâce à ces prises de liberté pleines de hardiesse et à travers un dialogue entre Orient et Occident, l’EBAI formera de futurs artistes qui inscriront le Vietnam dans l’histoire de l’art moderne.
Inès B., avril 2025
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